On trouve le terme de “pneumatique” chez divers auteurs dont Sloterdijk. (1)
Pour ce qui est du pneumatique, comme de bien des choses humaines, tout est dit dans le langage et dans la langue.
Où plutôt dans les langues.
Quand le poète dit “je suis inspiré” il y en a un qui souffle – l’inspirateur-trice – et un qui reçoit le souffle.
Si je dis “ce texte est sans âme” alors s’évoque l’indo-européen commun *anə-[1] (« respirer ») qui donne – en latin – animus (« esprit, âme »), halo (« exhaler une odeur »), le grec ancien ἄνεμος, anemos que l’on retrouvera dans l’anémomètre, le truc à mesurer le vent.
On retrouve “halo” dans exhaler et inhaler.
Hébreu | Grec | Latin | Français |
Rouah – souffle reçu | Pneuma et noon | Spiritus | Esprit-souffle-sentiment |
Ame – Nephesh | Psuké | Anima | Ame vitale / entrailles |
Ame – Nechama | Pnoe | Spiraculum | Ame intellectuelle & reliée au divin |
Notre texte “sans âme” est un texte “sans tripes” mais aussi “sans souffle”.
Un convive “spirituel” a du souffle, du sentiment orienté vers l’humour.
Références
(1) Voici comment Peter Sloterdijk interprète le début de la genèse biblique :
« Nous comprenons à présent qu’entre l’inspirateur et l’inspiré il ne peut exister un clivage ontologique aussi aigu qu’entre un maître animé et son outil inanimé. Là où entre en vigueur le pacte pneumatique entre celui qui donne l’insufflation et celui qui la reçoit – c’est-à-dire là où s’immisce l’alliance communicative ou communionale – se forme une intériorité bipolaire qui ne peut rien avoir de commun avec la disposition autoritaire que l’on a sur un sujet par le biais d’une masse objective manipulable. L’insufflant et l’insufflé peuvent bien venir en premier et en deuxième d’un point de vue temporel, il n’empêche que dès qu’est accompli le déversement du souffle vital dans l’autre forme, androïde, s’établit une relation réciproque, synchronisée et tendue de part et d’autre, entre les deux pôles de l’insufflation en fonction. Cela semble constituer la partie essentielle de l’artifice divin : lors de l’insufflation, on prend immédiatement en compte une contre-insufflation. On pourrait dire sans détour que ce que l’on appelle l’existence d’un créateur ne préexiste pas à l’œuvre pneumatique, mais s’engendre en synchronisation avec cette œuvre même, comme un face-à-face intime avec son semblable.Le souffle relève donc d’emblée de la conspiration, de la respiration, de l’inspiration ; dès qu’il y a respiration, on respire à deux. Puisque les deux sont présents au commencement, il serait absurde d’arracher par la force une indication sur celui des deux pôles qui a commencé à l’intérieur de cette dualité. Bien entendu, le mythe doit se donner pour but de dire comment tout a commencé et ce qui a été en premier – ici comme partout. Mais dans la mesure où il tente de le faire sérieusement, il doit aussi, désormais, parler d’un va-et-vient originel, pour lequel il ne peut exister de premier pôle. Tel est le sens du discours biblique sur la création de l’homme à l’image de Dieu. Il ne signifie pas que le créateur ait été un mystérieux androïde solitaire qui, à un moment donné, sur un mouvement d’humeur, s’est mis à décalquer son apparence – apparaissant à qui donc ? – sur des corps terrestres ; ce serait tout aussi absurde d’imaginer que Dieu pourrait avoir désiré la compagnie de figures d’argile non égales à lui, mais présentant une similitude formelle avec lui. Ce n’est pas la poupée humaine creuse que désigne la création de la subjectivité et l’animation réciproque. Le fait d’être “à son image” n’est qu’une expression rigidement optique et attaché au jargon des artisans, pour désigner un rapport de réciprocité pneumatique. La faculté intime de communiquer au sein d’une dualité primaire : voilà la marque de Dieu. Elle n’implique pas tant une similitude visuellement perceptible entre l’image originelle et la reproduction que le complément originel apporté à Dieu par son Adam, et à Adam par son Dieu. La science du souffle ne peut se mettre en marche que sous la forme d’une théorie des couples » in SLOTERDIJK, Peter. Bulles. Sphères I. Paris : éd. Pauvert-Fayard, 2002, pp. 45-46.
Illustration
Dieu et Adam : un échange des souffles
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